Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Procope2009
16 mars 2022

En mars, au café avec Danièle

Danièle et Marie ont lu, de Daniel Mendelsohn,   Un père, un fils, une épopée.

L'auteur (né en 1960) est professeur de littérature dans une université américaine ; il va faire un séminaire sur l'Odyssée et son père, octogénaire, qui n'est pas du tout spécialiste de littérature (mathématicien), lui demande d'y assister. Ce père et ce fils n’étaient pas très proches ; le fils a eu honte des manières frustes de son père dans son enfance.

Le père est très assidu et s’exprime souvent et avec conviction (sur l’héroïsme d’Ulysse, qu’il met en cause,  sur ce qui fonde l’union de deux personnes mariées).

Les étudiants se mettent à participer, à discuter à partir des réflexions du père. Le cours s’en trouve modifié ainsi que, parallèlement, les rapports entre le fils et le père. Ils poursuivront ce rapprochement par une croisière sur les traces d’Ulysse.

Danièle a été amusée par le personnage très pittoresque du père et  intéressée par l’évolution des rapports entre le père et le fils  (les souvenirs familiaux revisités) et la manière dont la présence de cette tierce personne modifiait le séminaire. Intéressée aussi par le rapprochement avec la relation entre Ulysse et Télémaque.

Un livre très beau et juste.

Entretien de D. Mendelsohn avec Libération :

Libé : Pourquoi ne pas avoir écrit sur votre père sans l’Odyssée en contrepoint ?

Parce que c'est ma façon d'écrire, je fais tout le temps comme ça. J'ai tricoté dans deux livres précédents, les Disparus et l'Etreinte fugitive, cet entrelacement entre narration personnelle et commentaire critique de textes anciens - il s'agissait de la Bible dans les Disparus. Lorsque mon père m'a demandé d'assister à mon cours sur Homère, j'y ai vu l'occasion de faire un de mes habituels entrelacements, sans savoir ce que donnerait plus tard cet exercice. Mais il me semblait qu'avoir mon père comme étudiant serait intéressant, et puisque l'Odyssée est un texte obsédé par la relation père et fils, il était à mes yeux évident et nécessaire de tisser ces deux histoires. C'était mon devoir d'écrivain.

A mes étudiants, elle a permis de se rebeller contre moi parce que les interventions de mon père leur posaient souvent problème, elles les agaçaient parce que lui-même s’agaçait contre Ulysse, qu’il ne trouvait pas héroïque. D’un point de vue pédagogique, c’était excellent. Après cette expérience, j’ai changé ma façon d’enseigner. Aujourd’hui je suis plus ouvert, plus détendu. Pourtant j’enseigne depuis 1989

Il était dur, il y avait des tensions entre lui et moi et nous avons essayé de les résoudre à la fin de sa vie. Le jour où mon père a parlé devant la classe de sa relation avec ma mère, de ces petites choses qui scellent l'intimité d'un couple, a été un tournant dans le cours, et un tournant pour moi, dans la façon dont je voyais mon père. Les étudiants ont été très frappés par cette intervention et, de mon côté, je me suis dit : «Je suis en train de vivre l'Odyssée avec mon père, je le découvre.» Cette scène de la fin du livre est le climax de ce séminaire. Je pensais que les étudiants allaient rire de ce vieillard qui parlait de son couple, qui faisait, même brièvement, allusion aux choses physiques. Or ils ne se sont pas du tout moqués de lui, ils étaient au contraire fascinés. Lorsqu'il fait cette remarque, la vie et le texte ne font plus qu'un. Ils se superposent. Les étudiants ont 17 ans, ils ne savent presque rien de la vie d'adulte ou du couple et ils discutent d'un mariage, celui d'Ulysse et de Pénélope, qui existe depuis plus longtemps que leur vie à eux, et d'une absence de vingt ans! C'est difficile de leur faire comprendre ce que le texte dit à ce sujet et grâce à la remarque de mon père, ils ont compris quelque chose. Ils ont été bouleversés par cette scène. Ils m'en ont parlé après la mort de mon père - puisque le séminaire a continué après, c'était très particulier et très fort, d'ailleurs, que le cours reprenne alors qu'ils l’avaient connu. 

…………………………………………………………………………………………………

Danièle a lu Ombres sur l’Hudson, un roman d'Isaac Bashevis Singer paru en 1957.

Initialement publié en yiddish (langue orale), il n'a été traduit en anglais qu'en 1998, puis en français en 2001,

I.B. Singer est né en 1904 en Pologne, a vécu enfant dans un quartier pauvre. Son père rabbin était le descendant d’un fondateur du hassidisme et il avait une fonction de juge et conseil dans leur quartier (cf. Au tribunal de mon père). Isaac Bashevis a reçu une éducation traditionnelle et religieuse ; lui et son frère ont commencé une formation pour devenir rabbins mais s’en sont écartés ; Isaac Bashevis Singer commence à écrire des romans.

En 1935, son frère et lui, angoissés par la montée de l’antisémitisme, partent vivre en Amérique. Il promet à Rachel, son épouse, de la faire venir aux États-Unis avec Israël, leur enfant, qui a 5 ans. Cela ne se produira jamais. Rachel, alors communiste, part en URSS avec son fils. Puis, leur route les mènera en Palestine.

Les premières années de Singer aux États-Unis sont difficiles. Déraciné, il éprouve des difficultés à s'adapter au mode de vie américain. À New York, les parents juifs n'enseignent plus le yiddish… En 1937, il rencontre et épouse Alma Haimann.

Dans Ombres sur l’Hudson, ces éléments autobiographiques nourrissent la peinture des personnages et de leurs tourments. A travers eux, Singer interroge la notion d'identité juive, un être en proie aux doutes, déchiré entre le respect de ses traditions et la volonté d'assouvir ses passions dans une société où il cherche à s'imposer sans jamais trouver sa place

Le roman se déroule en 1947 à New York et relate la vie d’une communauté de juifs venant de Pologne, rescapés de la shoah ; un premier cercle se compose d’hommes âgés, qui, après avoir fait fortune  à New York, se replient entre eux et communient dans leurs souvenirs ; ils sont à la fois soulagés d’avoir pu échapper à la shoah et pleins de culpabilité car une partie de leur famille a été assassinée dans les camps.

Dans la génération des quadragénaires, le personnage principal est Hertz Grein, journaliste ; il quitte sa femme et sa maîtresse pour vivre avec Anna Makaver, qui a 20 ans de moins que lui et qui a été son élève, enfant, à Varsovie.

Ils vontd’abord en Floride où ils rencontrent une pittoresque communauté de juifs new yorkais en vacances, dont ils connaissent certains, qui portent un regard indiscret et sévère sur ce couple illégitime. Ce qui devait être le début du bonheur de deux amants se change en malentendus et en culpabilité (d’autant que Grein apprend que son épouse a un cancer), jusqu’au retour à New York de Grein, qui finit par retrouver les gestes puis la spiritualité de sa religion.

Ce qui a intéressé Danièle :

- l’apport documentaire sur cette génération de Juifs exilés à New York et forcément très marqués par la Schoah ;

- les personnages : la communauté des hommes âgés, qui une fois terminée leur vie active, tombent ensemble dans une sorte de dépression alimentée par le souvenir de ceux qui n’ont pas survécu,

- la peinture satirique de la communauté bruyante et cancanière des vacanciers en Floride,

- le personnage central de Grein (son rapport aux femmes, à la religion, son indécision, son évolution),

- les personnages féminins (notamment une ancienne maîtressse de Grein, très amoureuse et excessive, chez qui il se réfugie à plusieurs reprises)

- plus généralement l’atmosphère mélancolique et passionnée – qui me donne envie de relire Belle du Seigneur et m’a fait penser à Woody Allen ( avec par exemple un personnage de fausse médium),

- les motifs entrelacés de l’action qui réussit et de la passion qui déclenche des tragédies.

Publicité
Publicité
Commentaires
Procope2009
Publicité
Archives
Publicité