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Procope2009
14 mai 2022

En mai 2022, seules à l'étage!

 

 

Au Café Beaubourg, ce mercredi 11 mai, nous avions tout le premier étage pour nous ! Il fallait seulement braver l’interdiction de monter et décrocher le cordon. J’ai ouvert la voie, avec autorisation... Et on nous a proposé une nouvelle carte, où vins et boissons détox sont toujours aussi chers.

Il y avait le chat qui s’ennuyait ferme, faute de clients à l’étage. Mais nous n’avons pas vu l’homme au catogan qui continue sans doute à confiner.

Trêve de plaisanterie, nous avons parlé de nos lectures en cours : celle des romans d’Andreï Kourkov, Le Pingouin (bientôt lu par Annick), et Les Abeilles Grises (bientôt lu par Marie). Nous y reviendrons donc la prochaine fois. Kourkov est, paraît-il, l’écrivain ukrainien préféré des Français…

Nathalie nous a fait découvrir un poète du XIXème siècle, Charles-Louis Philippe (1874-1909) dont elle avait apporté un recueil, Les Contes du Matin. Ce poète magnifique (je tombe sur une confession étonnante de sincérité et de lucidité : (fils de sabotier) « j’appartiens à une génération qui n’est pas encore passée par les livres… ») fait l’objet d’une analyse de sa part, que je mettrai en deuxième partie du compte rendu.

Elle a aussi parlé de ses lectures d’un poète italien, Federigo Tozzi, Barques renversées, livre de pensées, d’aphorismes, si j’ai bien compris. Cela me donne envie d’avoir ce beau livre entre les mains et de le lire. C’est un titre très magnétique.

Par des voies détournées, nous avons parlé de la situation des femmes (en Afghanistan, aux USA…), puis de l’écriture de soi et d’Annie Ernaux, invitée d’honneur de La Grande Librairie, pour son dernier livre très court, Le jeune homme, où elle raconte un autre épisode de sa vie, son aventure avec un homme bien plus jeune qu’elle. Au-delà de la relation transgénérationnelle, elle analyse les interdits que cela représente pour une femme ou pour un jeune homme, en butte aux idées reçues sur la sexualité, la procréation, et les rôles de pouvoir entre les sexes. Dans cette voie de l’écriture de soi, nous avons souligné l’originalité d’un écrivain que nous aimons bien (et qui est très influencé par Annie Ernaux qu’il aime beaucoup) : il s’agit de l’historien-romancier I. Jablonka avec son Histoire des grands-parents que je n’ai pas eus, où, lui aussi, mêle à l’histoire de sa famille, la grande Histoire dévastatrice.

Pour Nathalie, il y eut d’autres lectures souvent inspirées par ses découvertes littéraires, le Journal de Gide (en correspondance avec Charles-Louis Philippe), celui d’Anita Pittoni qu’elle nous avait fait connaître (Confession Téméraire) : une femme étonnante par son originalité et la profondeur de son observation.

 

Nous avons ensuite passé à une romancière que nous avions mise au programme, Louise Erdrich qui s’est faite la porte-parole des Indiens d’Amérique du nord : elle est elle-même, métis, et connaît de l’intérieur, le malaise de cette déculturation, consécutive à l’invasion et à la perte des territoires, et au non -respect des accords passés avec les Blancs.

Nous avons un peu parlé de son dernier livre, L’Homme qui veille, qui reste en cours de lecture pour le groupe. Nous n’avons donc pas défloré le sujet, seulement fait remarquer que ce livre mettait en scène des gens ordinaires, et même des gens très pauvres vivant sur une réserve, mais déterminés à défendre la terre sur laquelle ils vivent, avec un mode de vie un peu fidèle à celui de leurs ancêtres, tout en acceptant, pour la plupart, la modernité en marche.

Thomas, un indien Chippewa (ce qui est également l’ethnie de Louise Erdrich qui s’est inspirée de son propre grand-père pour camper le personnage) est au centre du livre ; il est celui qui veille à la survie des Indiens. Il partage la vedette avec sa nièce, Patrice, qui poursuit une autre quête, concernant les femmes indiennes, d’abord retrouver sa sœur Vera, dont on est sans nouvelles depuis qu’elle est partie à Minneapolis et ensuite, savoir ce qu’elle veut de l’existence.

Thomas, par sa fonction de veilleur de nuit dans une petite usine de pierres d’horlogerie, est « l’homme qui veille » : il veille aux droits des siens, et va mener une action au nom du conseil tribal qu’il a alerté et mobilisé, allant jusqu’au sénat à Washington, pour empêcher l’adoption d’une loi proposée par un sénateur ultra conservateur (un Mormon), visant à émanciper les Indiens, autrement dit, à les « lâcher », à leur enlever leurs derniers territoires pour qu’ils aillent vivre dans des banlieues urbaines où ils seront des proies, ou des épaves, comme le montre l’exemple terrifiant de la jeune Vera, cette sœur que Patrice est allée rechercher.

Les deux intrigues se croisent et, au fil de leur développement, nous voyons la façon de vivre très communautaire des familles indiennes, leurs mentalités, leurs croyances et leurs représentations. C’est passionnant de voir à l’œuvre ce dialogue avec les esprits, comment les indiens se sentent intégrés dans le monde physique dont ils ne sont qu’une partie, ce qui les oblige à prendre soin de l’ensemble des ressources et à respecter la vie animale qu’ils ne prélèvent que pour se nourrir et presqu’en s’excusant. Nous les voyons aussi dialoguer avec leurs fantômes qui leur rendent visite, parce qu’ils ont encore quelque chose de précis à dire ou à faire. C’est un autre mode de pensée.

Le lecteur peut penser que ces deux quêtes aboutissent à la fin du livre, quand Thomas revient chez lui, tous les personnages semblent prêts à se lancer dans leurs projets de vie. La relève semble assurée, et la mémoire du peuple indien sera préservée : deux jeunes filles Chippewa (dont Patrice) se lancent dans des études universitaires pour connaître les droits, la Loi, et dire ensuite auprès des leurs. Nous les lectrices, nous avons été sensibles (comme les personnages du livre) au poids des mots, comme la « Termination » pour signifier l’assimilation forcée. Il y en a d’autres.

Le dialogue avec les morts m’a fait penser au livre de Delphine Horvilleur, Vivre avec nos morts que je suis en train de terminer, que Danièle connaît également. C’est un livre de réflexion sur sa pratique de « rabbin laïc », telle qu’elle fut complimentée par un parent d’Elsa, une des victimes de Charlie Hebdo. Une épithète qui la fait réfléchir à tous les accompagnements qu’elle offre aux familles juives qui le lui demandent parce qu’elle est femme, jeune, avec d’autres options que les traditionnalistes. Cette réflexion est d’une grande humanité et d’une grande finesse qui rendent cette personne et sa fonction - telle qu’elle la porte - éminemment sympathiques. J’ai aimé le type de consolation qu’elle peut apporter, qu’elle a apportée aux familles de Simone Weil ou de Marceline Loridan, celles qui s’appelaient entre elles « les filles de Birkenau » et qui étaient si différentes, pourtant si unies.

Pour le rabbin qu’elle est, il faut savoir évoquer au mieux la vie des disparus devant leurs proches pour que ceux-ci puissent accepter leur disparition. Vivre avec les morts, certes mais dialoguer avec eux ? C’est une autre chose, bien qu’il y ait dans la tradition juive des dialogues (marchandages, parfois, j’ai lu aussi Max Jacob) avec l’Eternel, et sans doute aussi, avec les défunts disparus qui ont encore quelque chose à nous dire, avec les revenants, ceux que les vieilles légendes juives appellent les Dibbouk.

Un livre étonnant qui m’a donné envie d’échanger avec l’auteure, sur un livre que je présente spontanément avec un autre titre, Parler avec nos morts… Allez savoir pourquoi ? Je rectifie aussitôt.

Nous avons prévu de nous voir au mois de juin, le mercredi 8 juin  à 17 heures à l’Hôtel de la Marine. D’ici là, relisez…Jacques le Fataliste (Annick !) ou L’Île aux esclaves, ou…, pour mettre un pied non pas seulement chez Louis XV, mais au XVIIIème siècle.

Le livre que nous avons mis au programme pour une discussion autour d’un verre, est Les Abeilles grises de Kourkov.

Il n’y a pas de deuxième partie : Nathalie l’a voulu ainsi, par diplomatie ! 

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