Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Procope2009
14 février 2023

LE DERNIER LIVRE DE RUSSELL BANKS, OH CANADA

 

LE DERNIER LIVRE DE RUSSELL BANKS, OH CANADA

Russell Banks est un écrivain américain important, membre de l’Académie américaine des arts et des lettres. Il vient de décéder en janvier 2023 à l’âge de 82 ans. Son dernier livre a paru en 2021, sous le titre Foregone, traduit en français par Pierre Furlan, avec le titre OH, CANADA, il est publié en 2022. C’est de ce livre qu’il fut question lors de notre rencontre.

Nous connaissions déjà certains de ses romans : La Réserve, L’Affliction, De Beaux lendemains… dont nous avons parlé à l’occasion de leur parution, sans avoir de regard d’ensemble sur l’œuvre, sans voir les continuités, les ruptures, les engagements… Lors d’une rétrospective, Le Magazine du Monde souligne les prises de position politiques de cet écrivain, contre la guerre en Irak, contre le Patriot Act, sa présidence du Parlement international des écrivains créé par Salman Rushdie, la création d’un réseau de lieux d’asile pour écrivains exilés ou menacés (Cities of Refuge North America)…

Oh, Canada est un « roman-confession », un « roman -testament » : ce sont les termes que vous avez utilisés, Marie, Simone, Christiane, Daisy . Il met en scène en effet un documentariste célèbre, Léonard Fife, au terme de sa vie, une vie qu’il va confesser devant une caméra, sur un plateau où il a exigé le noir complet qui facilitera ses aveux.

Ses aveux ont une destinataire bien précise, sa femme Emma : sans sa présence attentive, sur le plateau, derrière lui qui ne la voit pas mais dont il sent la présence, il ne peut rien raconter. C’est principalement à elle qu’il adresse ses aveux, pour qu’elle connaisse l’homme qui, depuis plus de 35 ans fut « son déloyal compagnon, - déloyal parce que menteur ». Il se lance donc dans un récit de sa vie, livrant dans le désordre, sa vérité sur des épisodes anciens :

-auprès de sa première femme, Amy dont il divorça rapidement, peu de temps après la naissance de leur enfant ;

-son arrivée au Canada, à Montréal avec des rencontres et des engagements ;

-sa vie, son mariage avec une riche héritière de Virginie, Alicia Chapman, dont il eut deux enfants ;

-son retour à la maison paternelle et sa relation avec ses parents à Strafford Massachusetts, avant d’aller s’engager à Cuba…

Pourquoi ces souvenirs dans le désordre ?

Parce que ce récit de vie – non linéaire - ne correspond pas exactement au projet du cinéaste et de son équipe (Malcom, un ancien élève et assistant) qui attendent autre chose, un récit autour des engagements, des circonstances de la réalisation des films qui l’ont rendu célèbre. Malcom veut qu’on lui retrace un parcours professionnel, l’ascension d’un « créateur », d’un réalisateur célèbre, ses combats politiques... A chaque interruption du tournage (pour des raisons diverses, liées à des contraintes techniques propres au tournage, physiques de Léo, ou de soins à lui prodiguer, ou encore dues aux absences d’Emma…), il essaie de le remettre sur les rails d’un projet sans doute convenu à l’avance entre eux. Mais, sentant sa fin de plus en plus proche, Fife, a dévié pour une autre exigence : …  « depuis le début de mon adolescence, ma vie a été un cauchemar, un cauchemar dont je suis l’auteur, et j’essaie enfin de m’en sortir en me réveillant…  « c’est le seul moyen pour moi de finir ma vie avec une conscience nette » (p.173).

Des souvenirs dans le désordre parce que la mémoire est parfois défaillante, Leo Fife ne peut tout raconter.

Se dire, tout dire, trouver sa vérité, c’est sans doute ce qui préoccupa l’auteur lui-même dans les dernières années de sa vie.

Fort de cette lumière intérieure, il revisite toutes les lâchetés du passé devant Emma, sa femme, lui donnant ainsi l’attention qu’elle mérite. « Il a l’intention de partir en étant celui qui aime et qu’on aime » (p.129)

En racontant devant tous, devant sa femme, ses secrets et ses mensonges, Fife découvre et comprend les échecs de sa vie d’homme, ses insuffisances d’attention à l’autre, son incapacité à avoir une vraie relation équilibrée. « Il n’a jamais osé aimer ou être aimé par un autre être humain » (p.128).

 Marie a laissé percer son irritation devant cette confession « publique » (qui ménage une certaine mise en scène du Moi, quelles que soient les insuffisances de la mémoire). Si elle admire la technique d’écriture, elle trouve certains passages longs et inutiles. Le lecteur n’est pas loin de penser comme Emma : à quoi bon tous ces détails, ces télescopages d’époques, qui engendrent une certaine confusion, voire qui nuisent à la brillante image que ce documentariste va laisser derrière lui, et qu’elle, la bientôt veuve, va entretenir…

C’est un livre fascinant qui pose beaucoup de questions sur l’écriture de soi, sur ce qui reste d’une vie individuelle, sur le travail de la mémoire, sur ce qui est le moteur d’une vie : la réalisation nécessairement « égotiste » d’une vocation d’écrivain (en dépit des différents obstacles : le milieu social, des études inachevées…),  ou l’amour et l’attention qu’on est capable d’accorder aux autres ?

Christiane a parlé d’un policier (un « ethnopolar » dit Babelio) qu’elle a bien aimé, L’Île des Âmes, de Pulixi (écrivain italien qui situe l’action de son livre en Sardaigne). Elle nous en dira plus en mars. Mais l’ambiance mystérieuse lui plaît. « Explorer les racines du mal au plus profond de l’âme humaine », dit une critique enthousiaste.

Daisy a ensuite parlé d’un livre passionnant sur le Goulag, Voyage au pays des Ze-Ka de Julius Margolin (Ed. Le Bruit du Temps), écrit en 45-46. Un auteur né à Pinsk en Biélorussie le 14 oct 1900 et mort le 21 janvier 1971 à Tel-Aviv.

Un livre exceptionnel qui livre un témoignage, une information, et une réflexion car il décrit un système avec beaucoup d’intelligence. Margolin est un juif polonais qui s’est retrouvé après la guerre en territoire russe, et fut arrêté par le NKVD. Dès son retour des camps il écrit son livre et doit affronter une opinion internationale incrédule, l’U.R.S.S. étant tout auréolée de sa victoire contre le nazisme.

Nous avons prévu de nous voir le 15 mars, avec La Suite Française, de Irène Némirovsky.

 

 

Publicité
Publicité
Commentaires
Procope2009
Publicité
Archives
Publicité