Prix littéraires, A. WEBER, Prix allemand du livre

Anne Weber vient d’obtenir le prix du livre allemand 2020 pour son livre Annette, une épopée.

Un livre étrange qui se présente comme une épopée, alors que l’on déclare ce genre disparu depuis le Moyen Age.

Ecrit en vers libres, pour satisfaire au genre adopté.

Un livre étrange qui met en scène une véritable héroïne en la personne de la résistante communiste, Anne Beaumanoir : après une action d’agent de liaison sur le terrain parisien, sauvé deux enfants juifs (a reçu en 96 la distinction Juste parmi les nations), après s’être échappée d’une souricière à Lyon, elle se réfugie à Marseille, participe à la libération, puis au comité d’épuration ; elle trouve le temps de faire des études de médecine, de se marier, d’avoir trois enfants, dans ce que la critique qualifie de "parenthèse bourgeoise" de sa vie d’aventurière.

Vient le temps de la décolonisation et elle devient membre français du FLN, se fait prendre, fait de la prison, sort momentanément de prison pour accoucher de son troisième enfant, est condamnée à dix ans, s’enfuit, trouve refuge en Tunisie (neuropsychiâtre dans l'armée algérienne), puis en Algérie pour participer au gouvernement de Ben Bella en tant collaboratrice du ministre de la santé ; elle doit s’enfuir lors du coup d’état militaire, se refugie en Suisse, puisqu’elle est interdite de séjour en France où ses trois enfants grandissent sans elle, reprend son métier de médecin jusqu’à ce qu’elle soit amnistiée en France où elle finit ses jours à Dieulefit, et où la rencontra l’auteure, Anne Weber.

Celle-ci ne sonne pas les trompettes de la célébration guerrière pour évoquer un tel destin convoqué très tôt, dès le berceau - où la naissance de cette petite fille sut réconcilier les deux familles, paternelle et maternelle, de milieux sociaux opposés- . Car elle a vite compris, comme une mission de vie, qu’il fallait aider les autres, leur rendre service, voire les sauver, d’où ses engagements successifs.

Pas de célébration héroïque, car au fil d’un récit-discours où le narrateur dit beaucoup de lui-même par le parti pris qu’il affiche de voir les choses par le petit bout de la lorgnette (en changeant d'échelle dans le récit historique), on assiste à une mise à distance constante, voire à une sorte de dévalorisation des idéologies invoquées, et surtout de leur application sur le terrain. Il y a chez Annette Weber « une tendance à la drôlerie qui va à l’encontre des clichés sur l’Allemagne et les Allemands » (Le Monde des livres 24 mai 2020).

Tout de même, tout n’est pas posé sur le même plan : les lâches, les traitres, les arrivistes…sont dénoncés, ce qui contribue aussi à la valorisation de l’héroïne dont l’action est constamment guidée par un noble idéal, même si celui-ci sort un peu écorné par la distance pratiquée.

Devant un tel sujet, un tel récit de vie, Anne Weber s’est trouvée immédiatement confrontée au problème de la forme. « Employer la première personne ou mettre dans la bouche d’Annette des propos inventés m’aurait profondément répugné. Il m’aurait semblé d’une prétention inouïe d’écrire à sa place ou d’élaborer une reconstitution, en jouant de l’illusion romanesque » (Le Monde des livres)

Vous l’aurez compris, aucune identification au personnage n’est souhaitée ni possible. Ce qui nous tient en haleine, c’est l’action, c’est le destin favorable, la bonne étoile de ce personnage qui échappe par sa luminosité à toutes les complications pour aller toujours plus loin vers une sorte d’accomplissement de soi.

Toute la vie d’Annette Beaumanoir est guidée par la nécessité de l’action, d’une action juste et généreuse, selon une problématique qui a taraudé grand nombre d’intellectuels du XXème siècle (Sartre, Malraux, Camus…), mettre ses actes en accord avec ses idées.

Un beau destin, un livre passionnant.