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Procope2009
19 décembre 2019

Grèves de décembre et télétravail!

« Les livres de Jakób ou, Le grand voyage à travers sept frontières, cinq langues, trois grandes religions et d'autres moindres … »

 

 

Ce roman historique, car très documenté, est un objet littéraire assez étonnant.

 

Etonnant par son taille : plus de 1000 pages numérotées de 1037 à 1 à la manière des livres hébraïques dont la connaissance - et les multiples réinterprétations - va être un des moteurs du roman.

 

Etonnant par l'ampleur de ce voyage au cœur de l'Europe de l'Est dans un 18° siècle que les Lumières ne semblent pas vraiment atteindre.

 

Etonnant par son érudition : débats théologiques autour de textes sacrés (accompagnés d'illustrations), découvertes scientifiques, évènements politiques dans une Pologne moribonde sont intégrés aux pérégrinations de Jakob Frank.

 

Etonnant enfin par son mélange de genres littéraires : du genre fantastique propre aux contes yiddish (l'esprit d'une très vieille femme plane au dessus de tous ces événements et de ceux qui suivront bien plus tard ), .., par l'introduction d'échanges épistolaires, d'une chronique - journal intime, dans un récit qui donne la parole tour à tour à des nombreux protagonistes, dont un curé érudit lui aussi qui a le projet encyclopédique d'écrire une compilation de tous les savoirs, une poétesse polonaise,  un gentilhomme aventurier, le secrétaire de Jacob Frank etc.

 

Ce roman retrace l'histoire de Jacob Frank, juif polonais qui va s'autoproclamer messie dans les lignées d'une autre hérésie célèbre,  celle de Sabbatai Tzevi au 17° siècle. Dans un mouvement de va et vient, il va circuler à travers l'empire ottoman, la Pologne moribonde jusqu'à l'empire autrichien. 

Sa doctrine, remaniée à plusieurs reprises était  basée sur un rejet du judaïsme, sur des emprunts à des éléments du christianisme (dont la croyance dans une « Trinité ») allant jusqu'à la conversion à la religion catholique  sans y adhérer, « Je suis venu libérer [le monde] de toutes les lois et règles qui existaient jusque-là. Il fallait détruire tout cela pour qu’alors se dévoile le Dieu bon. »

 

 Cette hérésie reflétait aussi une aspiration à l'émancipation du statut de minorité opprimée qui était la condition de la minorité juive en Pologne. Aspiration qui ne pouvait se réaliser que par la création d'un territoire directement sous la protection d'un souverain, d'où ces déplacements dans l'espace et les hauts et les bas de  ses pérégrinations (un autre roman d'Olga Tokarczuk a pour titre les Pérégrins), où il est tantôt fugitif, tantôt admiré, tantôt emprisonné, tantôt notable respecté mais toujours entouré d'une véritable cour de fidèles.

 

A la fin du livre, la frontières des identités, et les frontières tout court se dissolvent dans les devenir des familles juives polonaises  - devenues catholiques, d'autres revenues à leur foi - et le destin de leurs descendants, dispersés dans toute l'Europe, participant à la modernité, l'un des neveu de Frank étant même mêlé à la Révolution française et guillotiné avec Danton.

 

Bien que le récit suive la vie de Frank, et d'une constellation de personnages, sans quitter la chronologie, la force du roman vient  de la vivacité des différentes scènes, de la manière de faire vivre les villages et les villes dans leur vie quotidienne, sous forme de tableaux, dans une langue qui semble très simple, très dépouillée, ce qui n'empêche pas des passages presque poétiques de descriptions de paysages traversés le long de cette errance.

 

C'est bien évidemment une réflexion sur  les préjugés, les superstitions, et surtout les identités et on imagine – ou plutôt on n'imagine pas- l'accueil de ce roman dans la Pologne actuelle, exaltant sa mythique pureté nationale originelle.

Alors mon opinion ?

Ce livre monument brasse toutes sortes de sujets qui m'intéressent : bien sûr l'histoire de la société polonaise et des empires autour mais aussi  à travers cette hérésie juive de révolte contre l'oppression, le fonctionnement des hérésies (qui consistent souvent dans un retournement systématique d'un corps de doctrine), et les tentatives de contre-sociétés utopiques qui l'accompagnent. Dans l'analyse des personnages, la narratrice met en scène sans jugement le fonctionnement d'une secte et de l'emprise qu'exerce son fondateur. Mais j'avoue que ce roman impressionnant  et foisonnant, s'il donne à réfléchir, est parfois indigeste, et j'aimerais bien avoir votre avis !

 

Merci Annick pour cette note de lecture. Elle nous donne envie de lire ce livre et de découvrir ce prix Nobel 2018 (nommée avec un an de retard). Les Pérégrins sont en route, Les livres de Jakob suivront et nous en discuterons!

 

 

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