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Procope2009
12 octobre 2015

¡Che gua! El Cholo! Vargas Llosa Le héros discret

 

Vargas Llosa et son « héros discret » (El Héroe Discreto, août 2013; publié en français chez Gallimard en mai 2015)

 

Un premier intérêt de ce roman écrit par VARGAS LLOSA, Prix Nobel de Littérature  (2010) est un intérêt documentaire, celui de connaître le Pérou contemporain ; l’auteur donne à ses personnages tantôt le cadre de la ville de Lima, tantôt celui de Piura, grande ville du nord du Pérou.

Dans ce pays longtemps sous-développé, le niveau de vie s'est considérablement amélioré en l'espace d'une génération (depuis plusieurs années le taux de croissance annuel est de 5 à 6 %). On est dans une société de consommation dont profite une classe moyenne bien représentée dans le roman par les avocats, les psychologues, les médecins, employés, secrétaires de direction, chauffeurs… aux côtés de chefs d’entreprise ou de directeurs multimillionnaires ! Où il y a des élections libres, une presse digne de ce nom avec la liberté de penser, de s'exprimer, d'entreprendre, où la religion semble moins pesante.

Mais l'insécurité règne et les histoires d'enlèvements, de mafias, de rançons demandées aux chefs d'entreprise ou commerçants, trouvent leur fondement dans la réalité sociale contemporaine du Pérou.

 

Ce sont aussi d'autres codes culturels, ceux d'une Amérique latine, métissée, où les Blancs - hispaniques (y compris ceux qui accompagnaient ou ont suivi les Conquistadores),  ou issus d'une immigration blanche européenne - , côtoient les Indiens, les  Noirs, les Chinois, les Japonais..., subissant la forte attraction des États Unis, notamment pour les gens riches ou moins riches qui se rendent à Miami ou sur la côte est, pour les études ou les loisirs.

Un pays où règne le machisme. On en trouve l'illustration dans le roman chez les deux officiers de police de Piura, dont la mentalité est décrite finement, y compris dans les fantasmes sexuels du Capitaine, et par la suspicion qui entoure les femmes libres, ou les femmes seules - y compris la veuve d'Ismael Carrera, Armida, malgré où à cause de tout son argent- .

 

Dans la première trame narrative (car il y en a deux qui se déroulent alternativement), le personnage central est Don Rigoberto, homme cultivé, libre-penseur, appartenant à la classe  aisée. Il représente l'auteur. C'est sans doute son regard sans illusions, sur le monde et sa démarche d’esthète. Il voit la vie comme un labyrinthe aux voies de plus en plus étroites au fur et à mesure qu'on avance en âge, et dont on ne peut s'extirper pour diriger son existence comme on l'entend. La preuve en est qu'il voit sa mise à la retraite, son voyage en Europe avec sa femme, suspendus et se trouve obligé de faire face à des complications judiciaires et humaines inattendues, après les décisions puis la disparition de son ami Ismael, son riche patron, qui par vengeance envers ses deux fils, décide de se remarier avec une femme plus jeune, gouvernante dans sa maison.

 

Lui faisant pendant dans la deuxième trame narrative,"le héros discret", Felícito Yanaqué, directeur d’une entreprise de transports à Piura, qui a pu, à force de travail et de persévérance, monter son entreprise et s'élever dans la société. Restant fidèle à la mémoire de son père (un homme humble qui s'est privé de tout, a travaillé dans les métiers les plus rebutants pour donner une éducation et de l'instruction à son fils), il élève ses deux fils dans le même esprit, les plongeant très vite dans les réalités de la vie, en les employant dans l'entreprise, comme chauffeurs. 

Lui qui n'est pas heureux en ménage après un mariage forcé, est tombé amoureux d'une femme "légère", Mabel, dont il fait sa maîtresse et qu'il entretient, lui faisant une totale confiance parce qu'il l'aime totalement. D'abord une force, cette liaison devient une faiblesse, son talon d'Achille, source de menaces, de chantages, puis de bouleversements de son existence toute entière avec des remises en question de sa paternité, de son ménage, de son anonymat qui lui est nécessaire. 

 

Les deux intrigues ont des points de jonction et finissent par se rejoindre à la fin avec un grand art. On admire la technique narrative qui ne ménage pas les rebondissements, qui traite une scène passée, non pas dans l'analepse, le retour en arrière, mais en l'intégrant dans le présent, où le personnage en train de répondre à un interlocuteur, se met tout à coup à répondre à un autre interlocuteur dans une situation dépassée, ce qui amène le lecteur à s'ajuster à une autre confrontation qui explique les réactions et les enjeux du présent. Vargas Llosa est un maître dans l'art de la narration dont il connaît tous les jeux. 

 

Au centre de ce roman, la question des jeunes générations

 

- "pourries" par l'argent facile : c'est le cas des "mellizos" (les jumeaux), héritiers naturels  d'Ismael Carrera, si pressés de voir mourir leur père pour hériter qu’ils le disent dans sa chambre d’hôpital, le croyant inconscient. Ces "hyènes" sont délicieusement diabolisées dans le roman. Mais le traitement de ces deux personnages devient de plus en plus grave au fil de leurs visites chez « l'oncle » Rigoberto et ils invoquent comme cause initiale de leur comportement, le manque d'amour de leur père.

 

- mises en demeure de gagner leur propre argent, et de gagner leur autonomie, comme les fils de Felícito. Cela va susciter chez l'un d'eux, Miguel, de la rancœur, qui, greffée sur une animosité ancienne, débouche sur une trahison.

 

- et enfin bien protégées : c'est la voie moyenne, représentée par Fonchito (le fils de Rigoberto) qui bénéficie de l'affection, l'attention de son père. 

Qui est protégé dans une famille très aisée et traditionnelle où les rôles du père et de la mère (en fait sa belle-mère, sa "madrasta") sont bien distincts et complémentaires. Cela n'empêche pas les "problèmes", si l'on en juge par ses histoires de rencontres avec un personnage de son invention, Edilberto Torres,  (hallucination? Incube ou succube? Les parents passent d'une définition à une autre sans pouvoir trancher) qui minent toute la famille.

 

Roman qui se lit avec plaisir en raison du plaisir que prend l'auteur dans l'écriture. Il joue avec les situations dramatiques romanesques (un critique espagnol a parlé de façon plus large, d'éléments propres au mélodrame), avec les mots savoureux de la langue populaire ou familière, posant ouvertement la question de savoir si la vie est si éloignée du roman, et si le roman ne fait que représenter fidèlement la vie avec les surprises qu’elle réserve...

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