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Procope2009
1 avril 2020

Epidémie

Virginie Prignot à Balzac, fin mars 1832 

 

Eh bien, Monsieur, voilà donc l’horrible épidémie arrivée dans nos murs. Pauvre Paris ! Hier encore ses frivoles et incrédules habitants se livraient avec insouciance au plaisir, les bals, les festins, les fêtes se succédaient sans relâche et si parfois, à leur réveil, le fashionable ou la coquette éprouvaient un léger frisson en parcourant d’un œil distrait l’article du Journal intitulé Choléra, cette pénible sensation s’émoussait bientôt à l’apparition d’une mode nouvelle ou d’un bal en perspective. Aujourd’hui, quelle différence ? Le fléau est venu parmi nous établir son empire redoutable, ce n’est plus un bruit populaire, un rêve, une fiction, c’est une horrible et hideuse réalité, c’est la mort qui nous menace, une mort prompte, affreuse, inévitable ! Vous, Monsieur, qui possédez sans doute une dose de raison et de philosophie, que le vulgaire ne saurait atteindre, vous ne pouvez connaître un sentiment de crainte, la peur est méconnue des esprits forts, pour moi, qui suis d’une trempe très ordinaire je l’avouerai sans honte, je tremble pour ceux qui me sont chers. J’ai serré sous clef, le café, les liqueurs, toutes mes fenêtres sont ouvertes, plus de rideaux nulle part, du camphre, du chlore, du vinaigre, mon appartement en est infesté, la providence fera le reste. Ne travaillez pas trop, ne passez pas les nuits à écrire, vous vous enflammerez le sang et cela est très dangereux. D’ailleurs, pour le succès de vos ouvrages auquel je m’intéresse vivement, le moment n’est pas favorable, les esprits sont préoccupés, la terreur s’est emparée de toutes les classes de la société, les riches émigrent dans leurs terres, la littérature est le moindre de leurs soucis. Notre quartier est privilégié jusqu’à présent, j’espère que j’aurai le plaisir de vous lire avant d’être la proie du monstre. En attendant, je me suis dépêchée de jouer mon rôle de veuve, pour ne plus en entendre parler et si le choléra nous laisse vivre je reprendrai avec bonheur mes lectures et ma vie paisible. […] Adieu, Monsieur, soyez assez aimable pour me donner de vos nouvelles, le silence a quelque chose d’effrayant en ce moment. Amitiés.
Texte à Balzac

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