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Procope2009
20 janvier 2017

Le vertige des cimes

En ce début d’année glacial, nous étions heureuses de retrouver Nathalie (avec ailes et avec elle), de nous retrouver à six, pour parler de nos lectures, parfois exigeantes.

 

La Montagne magique, titre énigmatique, symbolique, pour un roman fleuve écrit en 1924, dont les éditions Fayard proposent une nouvelle traduction, de la main de Claire de Oliveira, succédant à celle de 1931, de Maurice Betz. Pour ce livre, et surtout pour Les Buddenbrook (1901) Thomas Mann obtint le prix Nobel en 1929.

Un livre qui représente  un monument de la littérature allemande, et un monument de la littérature, tout court.

Un livre que nous avons mis au programme depuis décembre et qui va continuer à nous accompagner, car ce "classique" ("un classique est un livre qui n'a jamais fini de dire ce qu'il a à dire d'après Italo Calvino"), demande une lecture adaptée avec des temps de réflexion et de mises au point, à l’image d’une narration développant alternativement des séquences sur la vie à l’intérieur (chambre, salle à manger et vie sociale, rendez-vous médicaux…) du curiste Hans Castorp aux côtés de son cousin Joachim Ziemssen, et des séquences de promenades et de rencontres, occupées par des discussions philosophiques, politiques. Un livre qui a rempli notre soirée d'hier au Café Beaubourg par les nombreuses questions que suscite l’entrée dans un tel livre,  dans un tel univers, celui du monde d’avant la guerre.

Je garderai tous ces points d'entrée dans l'œuvre, tels que vous les avez mentionnés.

 

 

 

Tout d'abord vous avez parlé de la personnalité et de la stature de Thomas Mann, prix Nobel, expatrié au moment de l'arrivée du nazisme (il sera déchu par les nazis de sa nationalité allemande), d'abord en Suisse, puis aux États Unis où il s'est établi (d’abord Princeton, puis Los Angeles). Après la guerre, il est revenu en Allemagne pour une tournée triomphale où on lui décerna plusieurs prix dont le prestigieux prix Goethe. Mais c'est en Suisse qu'il s'établira pour les dernières années de sa vie et où il mourra en 1955 (son frère, Heinrich, écrivain de valeur, exilé lui aussi, meurt à Santa Monica en Californie en 1950).

Simone a évoqué le livre de Klaus Mann, son fils aîné, livre que nous avons découvert avec bonheur il y a deux ans, Le Tournant. Dans cette autobiographie d'une richesse époustouflante, il parle évidemment de son père, le "magicien", qui savait si bien raconter des histoires à ses enfants petits.

 

Je rajouterai, pour corriger un de mes propos sur la formation de Thomas Mann, qu'il fit des études classiques au lycée, poursuivies par des études supérieures dans des écoles privées. Il y fut un étudiant médiocre, mais a beaucoup appris par lui-même dans tous les domaines, sciences, humanités, psychanalyse... Richesse de sa bibliothèque de travail.

Il faut également mentionner sa passion pour la musique, pour l'œuvre de Richard Wagner dont il retiendra la composition dramatique dans Les Buddenbroock par exemple.

 

Vous avez également inscrit l’écriture de ce livre dans son époque, après la première guerre. Mais l'intrigue, qui met en scène un narrateur averti et ironique (il est à noter que Thomas Mann fit un séjour d'un an à Davos en sanatorium en 1911), se situe au début du siècle, avant cette première guerre mondiale. Dans le sanatorium du Berghof au-dessus du village de Davos en Suisse, se presse une société cosmopolite aussi bien en haut qu'en bas, au village.

Ce sera un des enjeux de lecture que de comprendre en finesse la métaphore et cette opposition entre le haut et le bas qui sous-tend tout le récit. Opposition et métaphore...très obsédantes!

La clientèle de l'hôtel, je devrais dire du sanatorium, est composée de gens riches ou un peu moins : des Allemands, des Autrichiens, des Suisses, comme des Italiens, des Russes, des Hollandais, des Mexicains...

Comme le veulent les convenances, dans les conversations de table, il n'est nullement question de politique, mais les multiples discussions de ce néophyte qu’est Hans Castorp, tant avec Settembrini (le petit fils d’un carbonaro), ou avec le dialecticien Naphta, qu’avec les médecins (notamment Krokovski), rendent compte d’une évolution de Thomas Mann vers des idées libérales et renvoient une image inquiétante de l’Allemagne à venir, et de la montée du conflit européen : c’est bien la déchéance spirituelle de l’Europe qui se dessine au fil des discussions.

 

 

C’est aussi le roman de la maladie de l’époque, la tuberculose, qui n’était pas éradiquée, et on pensait parfois la guérir dans des lieux de repos au grand air, les sanatoriums.

Depuis l'invention du vaccin et des antibiotiques,  on voit les choses différemment et l'utilité de ces lieux d'exposition au grand air, et à la maladie ( !), est très discutable. Nous apprenons beaucoup avec Castorp, sur les symptômes, sur la petite fièvre qu’entraîne cette maladie, sur les pneumotorax, et diverses parades dont disposaient les médecins. Mais la maladie est aussi métaphorique, mise en relation avec l’analyse par le médecin analyste, Krokovski, qui fait des conférences sur l’amour…

 

Pas de doute, il s'agit bien d'un roman d'apprentissage! Le jeune Hans Castorp vient de terminer ses études d'ingénieur et se prépare, à 24 ans,  à entrer dans les chantiers navals de Hambourg. Auparavant, des vacances de trois semaines à la montagne auprès de son cousin en cure, lui paraissent une excellente transition.  

Ainsi commence un séjour qui se prolongera quelques sept années. Des années où sous la conduite de divers mentors, il apprendra beaucoup de choses, pas seulement sur la botanique, ou sur la médecine, mais aussi sur lui-même, sur l'être humain, où il apprendra à apprivoiser la mort et la maladie, dans une attraction romantique et morbide, lui qui perdit tout petit enfant ses deux parents et qui veilla bien jeune, son grand-père sur son lit de mort.

Nul doute que l'auteur ne mette beaucoup de lui-même et de son expérience  dans l'approche de cette maladie et de ses effets sur des êtres jeunes.

 

 

Nathalie (toujours fidèle à Sarraute), nous a proposé un autre point d'entrée avec l'étude de la sexualité, autre pôle d'intérêt de ce roman d'initiation.

Dans la vie sociale à l'hôtel, des intrigues se nouent, se dénouent, des contacts se poursuivent avec l'extérieur; les femmes, même en cure, continuent à faire des efforts de toilette, couvrant, découvrant ces corps malades qui, de toutes façons, sont découverts devant les médecins, et représentés dans leur intimité par les radio, quand ce n'est par les peintures (de Mme Chauchat !) que réalise un des médecins, peintre amateur. Le pôle d'attraction pour le jeune Hans Castorp, n'est pas sa voisine, la vieille demoiselle professeur, ni l'inculte Mme Störh, toutes deux à sa table, c'est la fascinante Mme Chauchat, qui ponctue ses entrées dans la salle à manger vers la bonne table russe, par les bruits fracassants de la porte, qui couvre ses bras par une gaze blanche, dont il n'aperçoit à table que la nuque et les premières vertèbres...et qui a ces étranges yeux en fente, des yeux kirghizes, qu'il rencontra jadis avec extase chez un camarade de classe, à qui il osa un jour demander un crayon...., ce qu'il fera également avec Clawdia, le soir du mardi gras, où tous deux bravent les convenances pour s'asseoir à l’écart, se parler en français dans une sorte d'état second, libérés par la fête du Carnaval et le départ imminent de Clawdia.

Ce texte reflète elle aussi cette homosexualité réfrénée chez Thomas Mann, très mal vécue par Klaus et Erica Mann, ses enfants. Homosexualité ouvertement étudiée dans Mort à Venise.

 

 

 

 

Il nous reste beaucoup à découvrir et analyser dans ce long roman, riche et subtil. Par exemple nous avons seulement évoqué le traitement du temps qui s’écoule, ressenti par le personnage principal, mais aussi par le narrateur embarqué dans cette œuvre au grand souffle…

 

Après cela, nos autres lectures ont eu de bien pâles échos :

- Les romans policiers de Markaris, que nous aimons pour l’image fidèle qu’ils renvoient de la société grecque actuelle et de la vie quotidienne des Athéniens.

- Le dernier roman de Yan Lianke (Les chroniques de Zhalie, dont je n’ai pas aimé la traduction de Sylvie Gentil, et qui touche difficilement le lecteur, tant l’exagération est grande, systématique dans la peinture des transformations de la société chinoise désireuse de rattraper en peu de temps l’occident. L’auteur, qui a obtenu le prix Kafka 2014, appelle cela du « mythoréalisme ». La poésie reste intacte dans les évocations de la nature et de la vie des plantes, que nous lui avons connue dans Les jours, les mois, les années.

- les Mémoires de Léonard Woolf sur Virginia, dont a parlé Nathalie (avec S) et qui montrent bien comment le génie de la création, de l’imagination productrice côtoie chez Virginia, la maladie mentale.

 

 

Nous avons prévu de nous revoir le 22 février (pour le mois de mars, une fenêtre de tir vers le 15 ou le 22 mars ? dis-moi Simone ce que tu as noté), avec toujours Thomas Mann et Sa Montagne Magique, les polars de Markaris, et vos trouvailles des vacances.

Un post un peu long, le sujet obligeait… Hélène


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