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Procope2009
20 février 2016

L'Homme Rouge

 

Grand froid et chocolat  chaud pour notre rencontre  du 17 février au Café Beaubourg.

 

Notre plat de résistance était Svetlana Alexievitch, notamment La fin de l'Homme rouge, qu’un certain nombre d’entre nous est en train de lire et de terminer.

 

"Plombant, mais passionnant" a résumé Simone, et c'est ce que nous avons toutes ressenti. Difficile d'en lire des heures d'affilée, tant est lourd le poids du malheur passé, du désenchantement et de la difficile - sinon impossible pour certains- adaptation au présent.

 

C'est un document de premier ordre qui rassemble des témoignages sur :

- "l'expérience" du communisme en Union Soviétique depuis 1917, et sur la fabrique de l'homme soviétique, « l’homme rouge » selon les termes de S. Alexievitch.

- la période du stalinisme, ce qu'on a appelé la Terreur (dénonciations des proches, arrestations, interrogatoires, incarcérations, exécutions massives), avec les purges et la déportation dans les camps de travail, des procès retentissants, puis la Grande Terreur de 36 à 38.

- la guerre et l'occupation allemande,

- l'antisémitisme, celui des nazis rejoignant celui, séculaire, des peuples slaves

- la période Gorbatchev : décalage d'image de cet homme politique qui ne fut jamais un leader, adulé en Occident, décrié dans son pays.

- le coup d'état, l'entrée en scène d'Eltsine, avec le soulèvement populaire des Moscovites pour leur liberté, et l'effondrement de tout le système, plongeant une grande partie de la population dans la misère.

- l'éclatement de l'empire et la situation devenue difficile des Russes en place dans l'administration des anciennes républiques devenues indépendantes.

 

La méthode de cette journaliste de formation est celle de l'enquête en sociologie, consistant à interroger un individu sur quelque chose de  personnel, lié à son passé, pour l'amener à restituer le cadre sociétal dans lequel il a évolué. Et cela est très efficace. D'autant plus que, quel que soit le souvenir, la personne qui parle n'est jamais jugée : elle est reconnaissante à l'enquêtrice de lui donner "le droit à la parole", cette parole qui donne du poids à sa vie, qui lui donne une valeur comme un acteur du drame qui s'est joué en Russie.

 

Tout est dit, le bien comme le mal, toutes les souffrances, celles des victimes et celles des bourreaux, celle des adultes, comme celle des enfants innocents, celles du passé comme celles du présent...

 

Et nous voyons à quel point l'effondrement de l'URSS a entraîné pour la plupart des Soviétiques  une perte totale des repères, et surtout une perte de leur identité. Les idéaux ont fait faillite, l'empire a éclaté, beaucoup d'archives ont été ouvertes au public, la vie est devenue bien plus chère, de nombreux biens de consommation ont été mis sur le marché mais la misère empêche de les acquérir d’où frustration, désillusion, honte. 

 

 

Le problème que pose ce livre, comme tous ceux de Svetlana Alexievitch, récompensée en automne 2015 par le Nobel en littérature, est de savoir si son auteur fait un réel travail littéraire. Nathalie de C. pense que oui en raison du montage de tous ces témoignages réunis en chapitres par thèmes, problématiques; en raison aussi du traitement du temps avec les remontées dans le passé, le retour au présent pour donner des réponses au passé ; en raison de la distribution complémentaire de la parole qui va des parents aux enfants, des parents aux amis d’un jeune garçon suicidé. C'est très fort.

En raison aussi de la discrétion de l'enquêtrice dont on n'a pas toujours les questions.

 

On a des voix, pour ce qui pourrait être en littérature, un vaste roman polyphonique, où les points de vue donnés dévoilent peu à peu « la vérité » et non pas des vérités.

Des voix qui s'autorisent à parler à l'approche de la mort, après des vies dévastées, ou pleines de sens, mais qui se terminent dans une grande solitude, et autorisées dans un lieu, toujours le même, la cuisine, refuge de l'intimité.

 

Vous avez aussi souligné combien ce livre nous renseignait sur l’âme russe, puisant son énergie dans la souffrance et le malheur, dans son besoin d’un chef par peur du chaos, et mystique dans ses croyances.

 

 

Puis, chacune a évoqué ses différentes rencontres de lecture :

La septième fonction du langage de Laurent Binet pour Annick qui a bien  aimé ce livre, drôle, qui lui a fait réviser ses cours de linguistique, sur le structuralisme notamment.

Blasphème de Jacques de Saint-Victor pour Nathalie(?)

Passagère du Silence de Fabienne Verdier pour Marie

Brooklyn de Colm Toïbin, pour Daisy

Titus n'aimait pas Bérénice de Nathalie Azoulai pour Danièle

Corps et Âme de Frank Conroy pour Danièle

La Promenade de Robert Walser pour Nathalie

 

 

Menderley for Ever, la biographie de Tatiana de Rosnay, consacrée à Daphné du Maurier, circule parmi nous. Nous en avons un peu parlé Daisy et moi au début, pour regretter le manque de distance critique de l'auteur vis à vis de son sujet d’études. C'est écrit un peu comme un roman, en raison d'une grande empathie qui conduit l'auteur à s'identifier à la romancière, et de son désir de retrouver dans les différentes demeures visitées, les fantômes du passé, comme l'a fait très souvent Daphné Du Maurier, très inspirée pour ne pas dire hantée, par les mystères  du passé.

 

Quant à l'écrivain elle-même, nous admirons son génie des intrigues, souvent exploitées au cinéma, sa science des lieux et des caractères, pour regretter que, trop souvent, elle n’aille pas assez loin dans l'écriture. La Critique de son temps, très souvent élogieuse face aux succès populaires, a également été sévère, qualifiant certains romans de « romances ». Ma cousine Rachel est son meilleur roman d'après Daisy.

 

Nous avons prévu de nous voir le 23 mars avec deux pistes, l'œuvre de Sophie Germain (La Table des hommes est son dernier titre), écrivaine française vivant à Prague,

Et celle d'un auteur italien, Elena Ferrante, notamment l'Amie Prodigieuse (ce roman a une suite, Le Nouveau Nom).

 

 

D'ici là, portez-vous bien, bonnes vacances, Hélène 

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Commentaires
P
Oui, c'est magnifique d'humanité, de sympathie, pour ne pas dire de compassion. Il faut connaître cette œuvre tout à fait singulière, tout autant travail d'écriture pour unifier ce patchwork, que travail de journaliste (comment, sur quelle durée s'est-elle constitué ce réseau?), que travail de sociologue et d'historienne.<br /> <br /> On aimerait voir ce Prix Nobel un peu plus présente dans nos émissions littéraires pour qu'elle nous précise les modalités de son travail
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N
Beau compte rendu qui achève de me convaincre que Svetlana Alexievitch fait un travail remarquable ! Danièle a souligné aussi, je crois, que contrairement à Florence Aubenas, on ne sentait jamais chez elle la moindre condescendance.
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Procope2009
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