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Procope2009
28 avril 2017

Sakura et citron chaud!

 

 

Par une froide soirée de printemps nous nous sommes retrouvées à six au Café Beaubourg, illuminées par la présence inattendue de Nathalie,  l’Ardéchoise, et celle de Christiane, revenue du Japon…et la suggestion de lecture – avisée ? avec Journal d’un étranger à Paris de Malaparte -  de l'homme au catogan et au chapeau, qui nous fit au passage, le plaisir d’un bref bonsoir.

Les sujets de discussion ne manquèrent  pas dans cet entre deux tours des élections, nourris par les expériences de voyage de Christiane, prête à repartir au Japon à une autre période que le printemps. Elle nous montrera des photos la prochaine fois et parlera de sa lecture de Murakami qu'elle découvre avec Kafka sur le rivage, roman fantastique que nous avions lu et apprécié il y a deux ans déjà.

 

Cela a fait un enchaînement tout trouvé avec les romans graphiques de Taniguchi, appelés "manga" au Japon, mais qu'ici en France, l'on distingue bien des autres manga qui n'ont pas de visée littéraire, selon les explications données par Daisy.

Nous avons aimé ce graphisme précis, réaliste, qui joue sur des cadrages divers et éloquents. Les personnages sont attachants, prennent conscience de leurs blessures d'enfance, reviennent volontiers sur leur passé (Le journal de mon père) et dans leur passé (Quartier lointain) pour le revivre, et faire différemment. N'était- ce pas aussi le cas dans certaines œuvres de  Murakami, grand maître de la confusion du temps, du passage dans des époques passées et celles à venir (cft le fameux escalier sur une bretelle d’autoroute dans 1Q84)?

Ces romans graphiques nous ont plu et nous aurons plaisir à les fréquenter désormais.

 

C'est le roman de Siegfried Lenz, La Leçon d'allemand, qui fut au centre de nos discussions.

Siegfried Lenz (1926-2014) est un écrivain engagé qui entama dans l'après guerre, auprès d'Heinrich Böll, Gunter Grass et d'autres, le renouveau des Lettres allemandes. Il a milité aux côtés de G. Grass en faveur de Willy Brandt, devint l'ami du chancelier Helmut Schmidt.

Il a plaidé pour le renoncement à l'oubli. "Auschwitz nous appartient, a-t-il écrit, c'est une illusion de croire que nous pouvons vivre en paix avec ce passé".

 

Voilà pour un auteur que nous connaissons mal, dont les romans ne sont pas tous traduits en français, et dont on vient en Allemagne de découvrir un inédit, Le Transfuge (Der Überlaüfer), dont parla Le Monde des livres en mars 2014.

Le titre, La Leçon d'Allemand , met au centre du livre, la punition infligée à un jeune délinquant en centre de redressement, parce qu'il a rendu copie blanche sur le sujet de rédaction, Les joies du devoir.

Trop de choses à dire! Mis en cellule de punition pour faire tout de même son devoir, il se met au travail et demande des prolongations pour mener sa tâche à son terme et raconter l’exemple qu’il trouva dans les sphères, familiale et villageoise.

Punition, et libération, car l'adulte qu'il est entrain de devenir (il sort de détention à 21ans), voit enfin clair sur le caractère pervers de son père,  celui qu'il appelle le plus souvent dans son récit, "le policier de Rugbüll", parfois "mon père" : il prend tant de joies dans l'accomplissement de son travail de policier qu'il va bien au-delà de ce qui lui est strictement demandé, la surveillance d'un peintre, empêché de peindre par les nazis (Max Ludwig Nansen dans le récit) parce que sa peinture, aux couleurs violentes, est jugée "dégénérée".

Il épie le peintre jour et nuit, saisit des dessins, des peintures, les brûle en cachette. Il abuse de son pouvoir, en tant que policier (au lieu de protéger celui qui lui sauva autrefois la vie au risque de la sienne); en tant que père, qui brise moralement ses trois enfants, livrant à la prison son fils aîné qui s'est volontairement mutilé pour échapper à la conscription et à la guerre en Russie, lui refusant ensuite secours quand il est en fuite et gravement blessé pour le livrer finalement à un probable peloton d'exécution.

Le jeune Siggi, narrateur du récit, est lui aussi manipulé, brutalisé, et soumis à des conflits de loyauté qu'il traite comme il peut. Et la jeune sœur, Hilke, n'échappera pas non plus aux manipulations, renforcées par le rôle néfaste de la mère névrosée, malade du devoir, elle aussi.

C'est tout un système familial qui est démonté dans cette reconstitution du passé et qui permettra la déclaration finale au directeur de la prison, "je suis ici à la place de mon père".

Mais la peinture des relations familiales, ou la restitution d'une époque troublée, ne sont pas les seuls intérêts du livre.

 

La Leçon d'Allemand analyse à travers l'interdiction de peindre faite par les nazis à Emil Nolde, né Jansen, (car c'est bien de son histoire qu'il s'agit - cf le livre de Lionel Duroy, Échapper, qui étudie point par point cette transposition- ) le thème de la création artistique et les contournements que trouve l'artiste avec ses aquarelles, "images non peintes", et qui repart sans cesse de zéro comme il le dit au jeune Siggi, qui fut son ami, son modèle et le conservateur délictueux de certaines de ses œuvres.

Enfin, il y a ces puissantes évocations du pays natal, le pays de Hambourg et particulièrement, cette région de la Frise, proche du Danemark.

Pays de vent, de terre et mer mêlées, aux ciels immenses chargés de lourds nuages... « ce pays, ton pays, il ne comprend pas la plaisanterie…Toujours excessivement grave, même quand il y a du soleil, toujours cette sévérité. Tu as du mal à le supporter ? On se sent comme contraint, Max. Mais à quoi ? » p418 Pavillons Poche

Les personnages du roman, évoqués dans une fresque pittoresque où l'on décline leurs fonctions, (le peintre, l'aubergiste, le facteur, le vieux capitaine, l'oiseleur...) sont des émanations de cette terre où il vaut mieux être solidaire, et où l'on ne comprend pas l'acharnement du policier. Des gens de devoir, certes, mais des gens de bon sens surtout.

 

Et je n'ai pas parlé du style, très vivant, qui rend immédiatement le livre attachant : l'humour le dispute au réalisme, à la poésie. Certaines pages sont des morceaux d'anthologie et ce n'est pas pour rien que ce livre est inscrit au programme du cours de lettres dans tous les lycées allemands.

 

Nous avons prévu de nous revoir le mercredi 31 mai, vers 18 heures autour de l’œuvre de Baldwin qu’Arte et France Culture nous font (re)découvrir en ce moment. La prochaine fois le feu, peut être une entrée dans l’œuvre. Outre les essais, nombreux, il y a des romans célèbres, dont La Conversion, ou L’Homme qui meurt, ou Harlem Quartet…Et du théâtre….Et des nouvelles (Face à l’homme blanc).

Nathalie nous a parlé  de lectures intéressantes sur le même sujet que traite Baldwin (la condition des Noirs aux Etats Unis), Quand je serai noire de Maya Angelou.

Autre écrivaine américaine lue avec intérêt, Siri Hustvedt, Un Monde Flamboyant, ou l’Envoûtement de LilyDahl.

 

Choisissez, et Hauts les cœurs !

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