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Procope2009
26 novembre 2016

Novembre 2016 au Café

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Six! Nous étions six au Café Beaubourg, pour une discussion de lecture, une semaine après le spectacle, Les Années, adaptation du livre d'Annie Ernaux, au théâtre 71  de Malakoff, spectacle proposé cet été par Danièle.

Six, au premier étage, dans "ce haut lieu où souffle l'esprit", à présent visité par un gros chat tigré, genre sumo, qui n'accorde la faveur de sa présence inspirante qu'à de rares clients penchés sur leurs ordinateurs.

 

Nous étions penchées sur nos livres, dont Laetitia ou la fin des hommes, de Jablonka, que nous avons toutes trouvé intéressant, quoique moins fort que le précédent, Histoire des Grands Parents que je n'ai pas eus. Il s'agissait dans ce livre-là, de sortir du néant ou presque, des parents tôt disparus et demeurés inconnus, par une recherche rigoureuse des quelques traces laissées derrière eux.

Et dans Laetitia, il s'est agi de faire revenir à la vie – mais une seconde vie, plus lumineuse, plus éclatante grâce à l'empathie, l'admiration de l'enquêteur, interrogeant là encore témoins et sources diverses -  une jeune fille de 18 ans, sauvagement tuée, puis démembrée, contre toute humanité.

 

On sait que I. Jablonka, professeur d'Histoire à Paris VIII, applique avec rigueur les méthodes de l'historien pour interroger et analyser dans ce livre, un fait divers, étudiant toutes les sources, qu'elles viennent des proches, des journalistes, des avocats et des juges, des enquêteurs de la gendarmerie, des assistantes sociales, de la famille d’accueil…Tous furent rencontrés, interrogés, sans pousser plus loin l’enquête (d’une rigueur exemplaire), avec l’intention de montrer que Laetitia est « une héroïne des temps modernes ».

 Il a assisté au procès en octobre 2015 mais il n'a jamais voulu rencontrer le meurtrier, Tony Meilhon, et il s'en explique à la fin du livre, par fidélité à son personnage.

Vous avez trouvé des contradictions dans ce portrait de Laetitia, soulignant presque des incohérences, entre l'esprit positif (dans sa volonté d'aller de l'avant, de construire sa vie) et les tendances suicidaires du dernier mois confirmées par les trois lettres trouvées où elle donne ses dernières volontés. Un hiatus que l’auteur a également vu mais qu’il ne peut expliquer.

 

Nous avons bien cerné, grâce au travail de Jablonka, le milieu dans lequel ont évolué Laetitia et sa sœur jumelle, Jessica.

-       La famille biologique jugée inapte,

-       le fonctionnement très administratif des institutions ayant trait à la petite enfance,

-       la famille d'accueil dont le père de famille s'avèrera un pédophile, purgeant aujourd'hui sa peine...

-       la scolarité chaotique,

-       le refuge affectif dans les réseaux sociaux et leurs virtuelles proximités.

Tout cela est consternant et semble (malgré les différences de moyens et de contextes) presqu’inchangé depuis le XVIIIème siècle auquel se réfère l'auteur avec la création de l'Assistance publique pour donner un toit et un métier aux enfants abandonnés.

 

L'enquête dépasse la simple reconstitution historique. Elle se déploie dans tous les domaines des sciences sociales pour étudier, selon l'auteur, deux faits sociaux, la violence faite aux femmes et celle que subissent ces enfants particulièrement démunis.

 

 

A la suite de nombreux écrivains que nous connaissons (comme par exemple Cercas dans l’Imposteur, ou Carrère dans l’Adversaire, et d’autres), Jablonka, dans Laetitia, s’empare du fait divers pour en faire une matière littéraire, et écrire un livre, qui n’est pas ici un roman - il est classé en bibliothèque, dans le rayon des essais -, mais où des procédés littéraires sont appliqués

Il s’agit donc d’une problématique intéressante, faire de la littérature à partir d’une affaire réelle, avec des témoignages, des articles de journaux, et en maintenant la progression très puissante de l’enquête, de l’investigation.

En premier chef, il restitue l'intériorité de Laetitia à l’aide des témoignages de ses proches, famille(s) ou amis, et par l'étude et restitution des texto, ou des messages sur Facebook (il revendique la primauté de cette source dans le travail de l'historien). Et il construit à chaque étape de son livre une idéalisation de Laetitia, dont toute la vie peut se résumer à cette suspension au-dessus du vide, pratiquée lorsqu’elle était bébé, par son père, la suspendant au-dessus de la cage d’escalier par les bretelles de sa salopette.

Comme il l'avait fait pour le récit de la jeunesse (reconstituée) de ses grands parents, il ne fait pas de récit linéaire, il entremêle les différents fils narratifs, creusant chez son lecteur, des attentes d'ordre différent, mêlant le passé au présent. Il en est ainsi du récit de vie de Laetitia, de la progression de l'enquête policière, des rencontres avec l'avocate, ou avec Jessica, la sœur jumelle. Il y a sans cesse des va et vient avec les différentes strates du passé, le présent, l’avenir qui se profilait, et le présent de l’écriture qui rend Laetitia à la vie…

Jablonka, conscient de tout ce qui le sépare socialement, intellectuellement de cette jeune fille d’un milieu populaire, dont il va faire un personnage, une héroïne, va chercher loin en lui- même cette humanité qui permet d'entendre les voix du passé et de leur donner force et vie dans le présent.

Il trouve, ce faisant, la confirmation de sa vocation d'historien, réparer, en rendant à la vie, ceux qui ne peuvent plus parler. C’est aussi la mission de vie qu’il s’est donné.

 

 

Il fut question du livre d’une autre historienne, Arlette Farge, La révolte de Mme de Montjean, que Marie avait lu à son tour. Il nous renseigne sur l’état de déliquescence de cette société au bord de la révolution, où toute cohésion sociale semble avoir disparu. Nous avons été très intéressées par les renseignements que nous donne ce journal, sur les mœurs, la vie à Paris et avons regretté les « blancs » du récit, concernant notamment le métier de vendeur de modes, sur le travail de l’artisan souvent en voyage, et la façon dont il suppléait aux défaillances de sa femme. Nous nous sommes interrogées aussi sur le lien qui unit ce mari à cette femme qu’il ne se résout pas à renvoyer ou à enfermer, allant contre l’avis de son beau-père.

 

Grâce à Annick, qui nous avait envoyé le lien, nous avions toutes écouté l’entrevue de Javier Cercas, accordée à France Culture, parlant (après y avoir consacré un livre traduit et paru chez Actes Sud) du « Point aveugle » existant selon lui dans chaque roman. « Ecrire un roman consiste à plonger dans une énigme pour la rendre insoluble ». Et c’est au lecteur de s’immiscer dans « l’espace de l’ambiguïté » que lui laisse l’auteur. Car un livre sans lecteur « n’est qu’un tas de lettres mortes ».

A notre époque, la nouvelle forme du roman serait de s’emparer d’affaires, d’histoires, de faits bien réels, pour les proposer au lecteur sous forme d’énigmes à résoudre, à comprendre (Le Soldat de Salamine, L’Anatomie d’un Instant…).

Et là, nous retrouvons la problématique qui intéresse Jablonka.

 

Puis, nous avons échangé nos impressions sur le spectacle Les Années, adaptation du livre d'Annie Ernaux. Reconstitution d’une époque, sensiblement celle de notre jeunesse à nous, les babyboomers, à l’aide d’objets emblématiques, d’expressions, de publicités restituant une époque, restituant une société, celle de la société de consommation, restituant des combats, notamment ceux du féminisme pour une sexualité libérée et une fécondité maîtrisée. 

 

 

Pour la fois prochaine, 14 décembre, nous avions mis au programme, La Montagne magique de Thomas Mann, sans toutefois nous rendre compte de la longueur de ce roman, que nous conserverons pour plus tard, pour une séance en janvier. En attendant, lisons des nouvelles, forme un peu délaissée. Qu’en pensez-vous ?

Pourquoi pas celles de Cees Nooteboom, écrivain néerlandais de renom, que certaines connaissent déjà. La nuit viennent les renardsest très intéressant. Mais si vous vous sentez d’attaque pour un de  ses romans, pourquoi pas ? C’est un écrivain à découvrir.

Le dernier livre d’Elizabeth Badinter, consacré à la grande Marie Thérèse d’Autriche, nous attire également. Autant de pistes de lecture…

 

Portez-vous bien, lisez bien ! 

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